IV
Amour. Ce soir je préfère prier que sortir dans l'agitation. Je
préfère chanter que manger. Tout ce temps où tu m'as tellement manqué,
tout cela est passé, tout s'est dissout dans mon futur trop vaste pour
te perdre. Me reviennent maintenant les années de douleur que nous
avons traversées ensemble, que nous avons tissées ensemble. Je ne sais
de toi ce qui me manque le plus, quand tu me montrais les dents ou
quand je ne savais te dire combien je t'aimais. Maintenant je suis
seule à pleurer, est-ce que ça en vaut bien la peine? Et pourtant ce
soir, je vais prier. Je ne crois en rien, mais je me souviens: je
t'aimais. Tous les autres maintenant je les choisis pour toi, ils ne
m'aimeront pas, ils ne me quitteront pas. Pas de peine et pas d'autre
amour. J'espère que tu ne viendras jamais visiter mes rêves. Tu es
cautérisé dans ma plaie, tu ne partiras pas je le sais. Tu es la moitié
de ma vie. Je n'ai jamais réussi à te recracher. Maintenant, tant pis,
tous les souvenirs reviennent, ai-je assez dormi pour avoir la force de
les revoir? Tu me manques, mais je voudrais ne jamais t'avoir vécu, ne
pas avoir déjà tant de poids et d'amertume. Ce que tu as ravagé te
dépasse.
Amour. Ce soir, je vais prier. Je ne crois en
rien, mais je me souviens, et tout cela vaut le coup de la communion,
au moins avec moi-même. Je me pénétrerai au lieu de regarder vers le
ciel, je sais où tu te trouves. Je crois de temps en temps te reconnaître dans les yeux
des clochards qui écrivent je t’aime sur les trottoirs ou des mecs
bourrés ou de ceux qui sans raison me parlent dans la rue pour me dire
que je suis belle qu'ils m’aiment et que ma vie m'attend. J'aimerais
que ce soit ça mais tu es mon passé et tu ne peux espérer mon futur.
Je
t'aime encore mais c'est si inutile. J'aimerais que ce soir le christ
vienne s'allonger dans mon lit, m'ouvre ses bras blancs, qu'il
m'accueille sur son cœur brûlant, qu'il reconnaisse ma peine, et qu'il
ait pitié de moi. Je voudrais ce soir que le christ vienne me
réconforter et me dise que ma vie a été si dure. Mais il n'existe pas
et ce soir je vais prier. Je chanterai ma peine pour qu'aucun ange ne
descende du ciel et j'écrirai des mots incompréhensibles dans le noir.
Tous ce mots que jamais je n'ai pu prononcer.
Amour. Ce soir je vais
prier. Et je dormirai en paix. Sans christ sans père sans dieu, sans
amour. Draps blancs et avenir lumineux. Est-ce ma mort? Est-ce ma vie?
Je prie déjà.